A quarante-huit heures de la reprise des négociations internationales sur le nucléaire iranien, Benyamin Netanyahou vient d’envoyer à Paris une délégation « de haut niveau » chargée d’encourager Laurent Fabius à conserver une position très ferme dans ces pourparlers. Fermeté face à la délégation iranienne, mais aussi face au secrétaire d’État américain, John Kerry, accusé de « naïveté » dans ce dossier par le premier ministre israélien.
« Je vais me rendre en France pour discuter des moyens d’éviter la conclusion d’un mauvais accord », a admis dimanche soir, avant de s’envoler pour Paris, le ministre chargé des affaires stratégiques et des services de renseignements dans le gouvernement sortant, Youval Steinitz, un fidèle de Netanyahou, qui dirige la délégation. Il sera notamment accompagné d’un autre homme de confiance du premier ministre, Joseph – Yossi – Cohen, nommé en 2013 conseiller pour la sécurité nationale, après avoir passé trente ans au sein du Mossad, et de plusieurs experts des questions de sécurité.
Après l’échec de son offensive devant le Congrès américain, début mars, destinée à empêcher la conclusion d’un « mauvais accord », Netanyahou, conforté par sa victoire électorale, semble penser que c’est en s’appuyant sur Paris qu’il fera obstacle à un accord considéré par ses conseillers comme dangereux pour Israël. Pourquoi ? D’abord parce que Paris s’est déjà opposé en novembre 2013, à Genève, à la première version d’un texte jugé trop flou – en fait pas assez contraignant pour Téhéran. « Les Français nous avaient bien aidés », a confié dimanche Youval Steinitz. Ensuite, parce qu’au sein du groupe des 5 + 1 (États-Unis, Russie, Chine, Royaume-Uni, France, Allemagne) qui négocie depuis 18 mois avec l’Iran, c’est Paris qui assume aujourd’hui la position la plus réservée, en désaccord ouvert avec Washington.
Les raisons en sont multiples. Elles vont de l’existence au sein du Quai d’Orsay d’un fort courant inspiré par les « néo-conservateurs » américains à la nécessité de ménager nos amis les monarques du Golfe, globalement hostiles à Téhéran. En passant par une adhésion aux craintes exprimées par le gouvernement israélien, même si elles ne sont pas jugées fondées, à court terme, par une bonne partie de l’état-major militaro-sécuritaire.
La semaine dernière, alors que les sept délégations étaient réunies à Lausanne et que des rumeurs optimistes sur la possibilité d’un accord circulaient, Laurent Fabius a même appelé la délégation française pour recadrer ses positions et lui rappeler que toute concession était exclue. Au terme des travaux, les délégations française et américaine se sont d’ailleurs accrochées sur le ton et le contenu des briefings, substantiellement divergents, offerts à la presse. Et le différend n’a pas été résolu lors de la conversation téléphonique échangée vendredi dernier entre Barack Obama et François Hollande.
Clair depuis le début de cette phase des négociations, le désaccord porte sur plusieurs points clés. Le plus sensible est la question de la levée éventuelle des sanctions. L’Iran est frappé par trois régimes de sanctions : celles de l’ONU, depuis 2006 ; celles des États-Unis, imposées depuis 1979 et renforcées en 2013 ; et celles de l’Union européenne depuis 2010.
La France, qui entend conserver tous les moyens de pression actuellement disponibles sur l’Iran, s’oppose à la levée ou à l’allègement des sanctions contre Téhéran tant que la République islamique n’aura pas respecté tous ses engagements. Washington, soutenu par Berlin et Londres, défend le principe d’un allègement progressif – mais contrôlé et réversible – destiné à encourager les efforts de Téhéran vers le démantèlement complet des installations jugées « suspectes ». Moscou et Pékin plaident pour un régime plus souple encore.
Autre source de divergences : la durée de l’accord. Washington plaide pour une échéance de dix ans. Paris souhaiterait quinze ans. Sur les installations nucléaires non-militaires que l’Iran pourrait conserver, un consensus semble se dessiner autour de 6 000 centrifugeuses, produisant de l’uranium très faiblement enrichi, destiné aux réacteurs civils. Mais le débat reste ouvert sur la destination de l’uranium enrichi déjà produit et surtout sur les procédures de contrôle où Paris, là encore, se montre très exigeant. La France réclame par exemple que des informations détaillées et convaincantes soient fournies à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) sur les renseignements dont elle affirme disposer, selon lesquels l’Iran aurait entrepris, dans le passé, de développer des ogives nucléaires.
Si ces informations se révélaient exactes, cela signifierait que l’argumentation centrale de Téhéran selon laquelle son programme nucléaire n’a rien de militaire est mensongère. Ce qui ferait peser une très lourde suspicion sur l’ensemble de cette négociation.
La mise en garde d’Obama
« Nous négocions avec l’Iran depuis douze ans, a rappelé récemment dans un tweet Gérard Araud, ambassadeur de France à Washington. Nous n’avons pas à nous précipiter vers un accord qui doit être complet. Aux yeux de la France, tout accord, pour être acceptable, doit offrir des garanties sur tous les points. Nous n’en négligerons aucun. »
Benyamin Netanyahou n’est pas le seul à saluer et à encourager cette fermeté de la diplomatie française face à l’Iran… et, sur ce point, face à Washington. Les parlementaires américains les plus favorables à Israël, qui ont fait au Congrès un triomphe à Netanyahou venu dénoncer l’imprudence de leur président dans son approche du dossier nucléaire iranien, continuent de rechercher tous les moyens constitutionnels de refuser un éventuel accord avec l’Iran. Ils veulent au contraire imposer à Téhéran un régime de sanctions renforcées qui ruinerait sans doute pour longtemps tous les efforts des négociateurs.
Mais Barack Obama, qui tient à la percée stratégique que constituerait un tel accord et qui a été ulcéré par les propos racistes et les volte-face opportunistes de Netanyahou sur son acceptation d’un État palestinien, ne semble pas disposé à lâcher du lest. Au contraire. Il aurait même, selon un de ses collaborateurs, précisé au premier ministre israélien, au cours de son appel téléphonique de « félicitations » qu’il avait l’intention de « réévaluer les options des États-Unis » au Proche-Orient.
L’avenir dira si cette menace, qui a peu de précédents historiques, sera suivie d’effets. Et aussi s’il suffira, comme en novembre 2013, de quinze jours de négociations serrées et de quelques précisions et rectifications pour que, sur le nucléaire iranien, un texte jugé inacceptable par Laurent Fabius obtienne finalement son approbation. Ou si Paris prendra la responsabilité de provoquer un nouveau report de l’échéance fixée, jusqu’à présent, au 31 mars, pour obtenir un accord politique entre les 5 + 1 et l’Iran.